Le 12 décembre 2002, un homme succombe à une crise cardiaque sur le parvis intérieur du Théâtre Maisonneuve. 17 ans plus tard sa fille, l’artiste Mélanie Binette, décide de revisiter le deuil de son père en créant une performance in situ pour un.e spectateur-trice à la fois.
Immersion sonore et in situ
D’abord présenté à l’automne 2019 dans les espaces publics de la Place des Arts, le parcours consistait à suivre l’artiste main dans la main tout en écoutant une trame sonore diffusée dans des écouteurs-micros binauraux. Ainsi, la trame préenregistrée était mixée en temps réel avec la captation de l’environnement sonore de la Place des Arts. La voix enregistrée semblait alors éthérée, comme si l’artiste communiquait avec le/la spectateur-trice sans remuer des lèvres, par télépathie. La performance a eu lieu 4 fois par jour, sur une période de 6 semaines, dans le déluge comme dans la tempête de neige.
Rituel païen et mythe fondateur
Comment la mémoire de l’intime se fond-elle dans la sphère publique ? Comment le deuil s’inscrit dans la ville ? Le/la spectateur-trice redécouvrait ce lieu fondateur de la vie culturelle montréalaise en y épluchant les différentes couches d’histoires enfouies sous son parquet. La Place des Arts, symbole identitaire d’une ville et des millions de citoyen.nes qui y transitent, devenait également le lieu de déploiement d’une symbolique intime, avec le deuil d’un père comme mythe fondateur. Un parc, un édifice, une envolée de marches peuvent nous rappeler un défunt. Quel intérêt avons-nous à y retourner par la suite, comme sous la forme d’un rituel païen?
Intimité du toucher
La forme de la performance en one-on-one, main dans la main, permettait d’explorer une relation privilégiée avec chaque spectateur-trice. L’intimité du toucher engageait une communication au-delà des mots, modifiant les rapports traditionnels entre le public et la performeuse. L’artiste restait à la disposition des spectateurs-trices pendant 15 minutes après le parcours, si jamais celleux-ci ressentaient le besoin d’échanger sur leur expérience de l’oeuvre ou sur leurs propres deuils, ou simplement pour leur fournir un temps avant de revenir à la réalité du quotidien.
Pèlerinages en confinement
Dans le cadre de l’édition 2020 du OFFTA: festival en arts vivants et en plein coeur de la première vague de la COVID-19, Errances fut transformée afin que le parcours devienne accessible en ligne partout sur la planète. La performance était alors remise entre les mains des spectateurs-trices, qui devaient pratiquer l’errance en solo, à partir de leur quartier ou de leur village, à l’aide de la trame sonore et des directives offertes sur une page web. Le récit de ce deuil singulier venait informer l’expérience collective du deuil dans laquelle la pandémie aura plongé le monde entier. Pendant que les morts se cumulaient en abstractions dématérialisées, les endeuillé.es erraient en quête d’espace où vivre leur peine.
Rencontres de fantômes
Devant l’impossibilité de se tenir la main, le profond désir d’une intimité tactile et d’une connection humaine vint hanter cette version d’Errances en confinement. Les participant.es étaient appelé.es à choisir pour leur déambulation un lieu qui leur rappellerait leur propres défunts. Un compte Instagram fut alors créé pour partager les photos que les participant.es avaient envoyées et un système de rendez-vous téléphoniques fut mis en place, pour connecter autrement avec l’artiste.
Crédits
2019-2020
Idéation, texte et performance:
Mélanie Binette
Compositions sonores:
Hazy Montagne Mystique et Anette Zénith
Support en interprétation:
Maryse Beauchamp
Produit en collaboration avec la Place des Arts, la Fondation de la Place des Arts et le OFFTA
Images d’archive: montages effectués par Mélanie Binette à partir de photos des Fonds Armour Landry, BaNQ; autres photos : Fonds Florent Charbonneau, Archives de Montréal